Usure - La Dépouille

Vous voyez ce vieux, ce très vieux pull ? oui, celui-là, là-haut sur la photo
 — Quoi ! ça ? Vous tenez vrai­ment à parler de cette gue­nille ?
 — Et bien… (Bouche vague­ment pincée de la Sole, léger soupir)
[au fait, avez-vous déjà sur­pris un soupir de Sole ? Non ? C’est le moment, alors, de tendre atten­ti­ve­ment l’oreille………… là, voilà… avez-vous perçu ce souffle impon­dé­rable qui s’étire lon­gue­ment, dou­ce­ment, avant de s’échapper – ° – dans une bulle infi­ni­té­si­male ?]
[…] et bien, ……°……° °…°
La Sole s’est tue ; elle est un peu fati­guée.

Ce qu’elle aurait voulu dire, c’est : « Regar­dez comme ce pull hors d’âge est admi­rable – un patriarche déglin­gué et magni­fique, voilà ce qu’il est – la conclu­sion héroïque d’une patiente et dis­crète trans­for­ma­tion».
Elle aurait aussi aimé décrire le lent pro­ces­sus à l’œuvre – l’encolure qui com­mence à bâiller avec indo­lence, en une char­mante las­si­tude ; puis la maille souple et moel­leuse qui s’abandonne à une confor­table forme d’avachissement ; la fibre ensuite, de plus en plus déliée, de plus en plus clair­se­mée au point d’offrir ces den­telles impon­dé­rables, ces trans­pa­rences fra­giles de conte de fée ; jusqu’à la déchi­rure finale, béance tra­gique, gro­tesque, éche­ve­lée, irré­mé­diable.

Pour­tant la Sole se tait.
Il lui prend l’envie, là, tout de suite, de jouer avec l’ombre cha­peau pointu d’un toit, qui elle-même joue avec un réseau de grif­fures et de sillons, ins­crip­tions contra­dic­toires à la sur­face du champ nu au pied de l’atelier, énig­ma­tiques écri­tures agrestes à déchif­frer.
Avec un tor­tille­ment char­mant de la queue, elle se drape dans la dépouille, ouvre la fenêtre et s’envole.

Dans « Vie Véri­dique de la Sole – Mémoires d’une homo­pleu­ro­necte » : Mélo­dra­ma­ti­que­ment drapée dans la dépouille archaïque, la Sole a pris son envol